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Affichage des articles du 2016

Les transclasses ou la non-reproduction

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Une fille d'agriculteurs qui devient comptable. Un fils d'ouvriers qui devient historien. Des exceptions dans leurs fratries, mais des exceptions aussi d'un point de vue sociologique. Transclasse. C'est le terme qu'a choisi Chantal Jaquet pour parler de la non-reproduction sociologique. Préférant ce terme à celui de transfuge ou de déclassé, elle chercher à comprendre les conditions permettant ces rares parcours et les effets sur les sujets. Mais comment penser un phénomène minoritaire ? Comment documenter une exception sociologique ? C'est bien à une "pensée des exceptions" qu'elle travaille ici pour comprendre le passage de l'autre côté du monde social. Chantal Jaquet tente de répondre à ces questions à l'aide notamment de la philosophie de Spinoza, de la sociologie de Bourdieu, des écrits d'Annie Ernaux ( La place , La honte , Une femme ) et de Didier Erixon ( Retour à Reims ), ou encore des romans du XIXe siècle tels Le ro

Qu'est-ce que l'inconscient ?

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Comment expliquer ce qu’est l’inconscient ? Entre deux portes, à l’occasion d’un dîner, me voilà sommée d’expliquer ce que « les psys » appellent l’inconscient. Plutôt qu’entre deux portes, voilà un court texte pour aborder les manifestations de l’inconscient. Il œuvre dans l’ombre. C’est le principe de l’inconscient. Vous croyez tout savoir, être au clair, vous rendre compte, avoir analysé ce que vous faisiez, ce que vous disiez, ce que faisait l’autre, ce qu’il disait, ce qu’il se passait entre vous. Et puis un jour, l’évidence survient, lors d’une séance ou pendant une discussion. Vous prenez conscience de ce qu’il s’est passé. Ou bien, quelque chose advient. Un acte, une décision. Quelque chose qui engage et « ça » se fait malgré vous. Et là, le gouffre s’avère béant. Il ne s’est pas passé ce que vous pensiez. Pas exactement. Vous n’avez pas vu. On pourrait dire que vous n’avez pas voulu voir, mais cela serait nier la force de l’inconscient. Il y avait bien des indices, de

Rêver sous le IIIe Reich : saisissement du sujet et banalité du mal

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"Cela ne revient-il vraiment pas au même, qu'il s'agisse d'un rêve ou non, si ce rêve m'a révélé la vérité ?" Dostoïevski  Dans les années 1930, Charlotte Beradt a recensé les rêves de ses concitoyens. Entre 1933 et 1939, elle demande à ce qu'ils lui racontent les scènes qui peuplent leurs nuits. Juive et communiste, elle se tourne vers ceux qui ne sont pas dans les organes du parti ou dans les associations qui lui sont affiliées. Retranscrivant leurs dires de manière codée, cachant les récits dans sa bibliothèque, puis les envoyant à l'étranger à des adresses distinctes, ce n'est qu'après 1939 - quand elle émigre aux Etats-Unis - qu'elle les récupère progressivement.  De ces transcriptions sont nés des émissions de radio et un livre dans les années 1960, avec une postface de Bruno Bettelheim. Le titre allemand -  Das Dritte Reich des Traums  - est d'ailleurs bien plus riche d'interprétation que le titre français.  Ce li

BD - Freud et l'hystérie

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Des symptômes pour révéler et cacher Quoi de mieux qu'une bande dessinée pour raconter Freud et l'hystérie ? Les dessins d'Oscar Zarate exposent à merveille le théâtre de la Salepêtrière à Paris à la fin du XIXe siècle, scène des femmes hystériques hospitalisées et s'exposant au regard des hommes. Un public d'hommes que dirige le médecin Charcot. L'histoire retrace le parcours de Freud alors qu'il finit ses études de médecine, s'engage dans la recherche et peine à trouver sa voie. Richard Appignanesi - qui avait déjà publié toujours en collaboration avec Zarate en 1979 Freud for beginners - fait dialoguer tout au long du livre le Freud londonien et âgé avec le psychanalyste en devenir de Vienne. Celui qui erre entre la cocaïne, le laboratoire de recherche, Paris, et son cabinet de ville au 19 Berggasse, cherche constamment comment résoudre les énigmes du corps ainsi qu'à laisser sa marque dans l'histoire. Appignanesi et Zarate alterne

Quand la haine frappe encore

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Préférer la folie à la haine

L'intérêt général et moi : une mise à l'épreuve de notre démocratie

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L'intérêt général mis à l'épreuve C'est l'histoire d'une expression qui a été progressivement dépossédée de son sens. Deux mots qui sonnent comme le rappel des écrits philosophiques du XVIIIe siècle. L'intérêt général n'est plus. Ou plutôt, il est porté par les seuls citoyens qui doivent s'opposer à la raison d'Etat qui fait passer les intérêts privés pour des projets d'utilité publique. Julien Milanesi , maître de conférence en économie à Toulouse, et Sophie Metrich , réalisatrice, ont pris la caméra pour documenter les combats citoyens menés dans le cadre des grands projets inutiles. Si l'A65 et le projet d'aéroport Notre-Dame-des-Landes prennent une place prépondérante dans le documentaire, il n'oublie pas pour autant d'expliquer le dispositif mis en place dans quasiment tous les grands projets ces dernières années, les fameux partenariats public privé (PPP). Actuellement en perte de vitesse, ils ont pourtant eu le te

Comme des lions : subir, penser et agir à plusieurs

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Ils l'ont appris par une fuite en 2011. PSA avait pour projet de fermer l'usine d'Aulnay-sous-Bois. D'abord, évidemment, la direction a nié. Deux mois après l'élection présidentielle de 2012, PSA rend public son projet. Progressivement les ouvriers se sont organisés. Ils ont lutté ensemble pour obtenir des conditions de fermeture avec quelque considération pour leurs décennies de travail. Ce que ne prévoyait pas le plan de fermeture. Françoise Davisse filme au plus près les ouvriers dans leurs réactions, leurs doutes, leurs discussions, leurs débats, leurs actions et les accompagne - comme elle nous permet de le faire quelques années après puisque l'usine a fermé en 2014 - dans la création et la vie d'un collectif. La parole pleine est là. Celle des ouvriers qui se parlent, proposent, s'écoutent, tiennent parole quand ils ont décidé de quelque chose dans le comité de grève, ne tergiversent pas sur leur engagement car ils savent que de cet engag

Le divan du monde : une consultation pour dire quoi ?

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"De quoi as-tu besoin ?" Ainsi se terminent les consultations de Georges Federmann, psychiatre atypique de Strasbourg, que filme Swen de Pauw dans Le divan du monde . Dans le bureau surchargé, la maladie mentale, invisible et chronique, s'invite à chaque rendez-vous. Le dispositif est immuable : des fauteuils de part et d'autre d'une table encombrée. Un médecin d'un côté, des patients de l'autre. Immuable sauf quand un patient propose d'intervertir les places et que le psychiatre accepte. Plainte, angoisse, phobies, doutes, vies bouleversées, migrations, amours, mort, dépression, espoirs... c'est la vie toute entière qui s'invite ici. Face à ce psychiatre si peu conventionnel, les patients - des habitués parfois de très longue date - se livrent, se laissent guider, résistent, bousculent le médecin et viennent chercher une écoute, un répondant et leur ordonnance.  Leur psychiatre n'est pas comme les autres. Il les tutoie s

En attendant Bojangles : de l'altérité au ravage

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Un très beau roman à lire en écoutant Nina Simone C'est leur enfant. Alors il raconte leur histoire en même temps que la sienne. La vie d'un petit garçon qui ment à l'endroit et à l'envers pour s'assurer une histoire qui tienne debout. Ses parents dansent sur Mister Bojangles . Ils dansent à n'en plus finir. Ils s'aiment, inventent des fêtes extraordinaires, adoptent un oiseau aussi beau que le nom qu'ils lui donnent. Mademoiselle Superfétatoire devient un élément du tableau familial, comme le sénateur et ami. Celui qu'on surnomme l'Ordure et qui pourtant est toujours là dans les meilleurs moments comme dans les pires. Olivier Bourdeaut, lauréat du  prix du roman des étudiants France Culture - Télérama 2016 , signe ici son premier roman en entrant dans la fiction par l'amour et la maladie mentale. Le fils n'est pas seul à prendre la parole. Quand le père le fait, il ne choisit pas. "Hystérie, bipolarité, schizophrénie&

Foucault, dispositif d'alliance et dispositif de sexualité

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Michel Foucault analyse, dans cet extrait de son premier tome de L'histoire de la sexualité,  le dispositif d'alliance et le dispositif de sexualité, autrement dit le passage d'une  problématique de la relation à une problématique de la "chair". "On peut admettre sans doute que les relations de sexe ont donné lieu, dans toute société, à un dispositif d'alliance : système de mariage, de fixation et de développement des parentés, de transmission des noms et des biens. Ce dispositif d'alliance, avec les mécanismes de contrainte qui l'assurent, avec le savoir souvent complexe qu'il appelle, a perdu de son importance, à mesure que les processus économiques et que les structures politiques ne pouvaient plus trouver en lui un instrument adéquat ou un support suffisant. Les sociétés occidentales modernes ont inventé et mis en place, surtout à partir du XVIIIe siècle, un nouveau dispositif qui se superpose à lui, et sans lui donner congé, a con

Freud, réflexion autour de la haine et de l'amour

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« L’analyse a permis de découvrir les trajets d’association, soit importants au point de vue du contenu, soit accidentels, suivant lesquels s’est effectué ce déplacement. La haine née de la rivalité avec le père n’a pas pu se développer librement dans la vie psychique de l’enfant, parce qu’elle était neutralisée par la tendresse et l’admiration qu’il avait toujours éprouvées pour la même personne ; il en résulta pour l’enfant un attitude équivoque, ambivalente , à l’égard du père, une lutte à laquelle il a échappé en déplaçant ses sentiments d’hostilité et de crainte sur un objet de substitution. Toutefois ce déplacement est impuissant à résoudre le conflit en opérant une séparation nette entre les sentiments tendres et les sentiments hostiles. Le conflit se poursuit après le déplacement, et l’attitude ambivalente persiste, mais cette fois à l’égard de l’objet de substitution. Il est certain que le petit Hans ne craint pas seulement les chevaux, mais est plein aussi pour eux de respe

Le dernier jour d'Yitzhak Rabin, par Amos Gitaï : un sujet et un dispositif

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Le réalisateur Amos Gitaï revient, 20 ans après, sur l’assassinat du Premier ministre israélien Yitzhak Rabin le 4 novembre 1995. Comment documenter un fait politique ? Comment montrer un fait politique qui est en même temps une attaque au corps ? Au corps d’un homme et au corps de la cité en même temps. Comment faire comprendre au spectateur un peu plus que les informations de l’époque ? Comment faire sentir au spectateur un peu différemment de ce qu’il en a déjà senti ? Autrement dit, Amos Gitaï n’est pas seulement face à un sujet. Si son film n’avait été qu’un sujet, il aurait peut-être opté pour un documentaire ou bien pour une fiction, mais il a fait le choix de mêler des images télévisuelles de l’époque à des scènes tournées par lui, que l’on peine à interpréter comme de la fiction. Le spectateur les perçoit plutôt comme une reconstitution historique. Pourtant, il y a bien aussi de la fiction dans ce film - notamment dans les échanges propres aux milieux religieux et int

Mia madre : délier les possibles

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Mia madre , un film de Nanni Moretti qui croise la fin de vie, la création artistique et celle de la vie quotidienne. La réalisatrice fait des allers et retours entre les lieux de son tournage et l’hôpital dans lequel sa mère vit ses derniers instants. Au milieu de ce tourbillon, elle se sépare de son compagnon, tente de comprendre sa fille et s’appuie sur son frère. Si le film n’a rien d’exceptionnel, il reste quelques scènes marquantes, comme des pépites, de celles que l’on vit emportés par l’élan du moment. Parmi ces plans remarquables, il y a celle de l’anniversaire de l’acteur principal. Il vient des Etats-Unis pour jouer en Italie. Il comprend un peu l’italien, mais le parle si mal. Il oublie ses textes, il joue mal, il s’énerve, il est incapable de retenir les visages, il ment tout en affirmant qu’il blague, il se joue de lui et des autres. Et puis un soir, après un dîner où il a confié à la réalisatrice son incapacité à retenir les visages, l’équipe du film lui