Michelle Perrot, "Mélancolie ouvrière" : une femme qui en occupe une autre

Lucie Baud
Une femme naît en 1870.
Elle vit dans le Dauphiné, mais même Grenoble paraît bien loin vu de Vizille ou Voiron.
C’est une soyeuse. Apprentie dès l’âge de 12 ans. A une époque où les journées de travail sont longues, très longues. Les semaines au métier durent 6 jours.
Elle se marie à un garde-champêtre, déjà veuf et deux fois plus âgé qu’elle.
Ils ont trois enfants, dont deux survivent.
L’usine toujours.
Puis son époux meurt en 1902.
Et les conditions de travail se dégradent. C’est alors la grève à laquelle Lucie Baud participe mais qu’elle contribue aussi à organiser.
Représentante syndicale, elle se rend à Reims (dans ce qui fut sûrement le seul voyage de sa vie) non pour y prendre la parole – c’est une femme, la seule de ce congrès – mais pour, par sa présence, marquer l’importance de la grève qu’elle a menée.
De déménagements en grèves et nouveaux patrons, un jour de 1906 elle tente de se suicider - chez elle, de trois balles dans la bouche. Laissant des lettres, jamais retrouvées par les historiens, où elle s’adresse à sa famille.
Survivant à son geste, elle rédige (ou dicte, mais pouvait-elle encore parler après ces coups de revolver ?) un témoignage pour Le mouvement socialiste sur les tisseuses de soie de Vizille.
Les registres d’état civil nous apprennent qu’elle meurt le 7 mars 1913, à 43 ans.
         De ces éléments ténus Michelle Perrot trace un portrait émouvant, tirant les fils de chaque ligne écrite par ou sur Lucie Baud. Mais traçant aussi ce portrait à partir de la polyphonie des recherches. Cette polyphonie semble d’abord nécessaire à l’historienne qui veut faire exister son sujet de recherche, mais cela devient tout aussi important pour les lecteurs. Elle ne quitte son sujet que lorsqu’il lui échappe, parce que Lucie Baud, ni plus ni moins qu’une autre, ne peut se résumer à ces jalons bien maigres dont nous disposons mais aussi parce que pour Michelle Perrot « il était temps de quitter cette rebelle qui me défiait ; d’en finir avec cette vie dont le mystère me fuyait et m’obsédait ».





Caroline Bernard - psychologue
66 rue des Grands Champs - 75020 Paris
01 75 50 01 65 - 06 80 66 22 55

Commentaires

Posts les plus consultés de ce blog

En attendant Bojangles : de l'altérité au ravage

Adel Chibane en thérapie