Une invitation à ne pas dévoyer ni pervertir la parole des patients

Laure Murat, professeure en Californie (UCLA), et auteure de nombreux livres sur la littérature mais aussi sur l’articulation du politique et de la clinique, a publié en 2011 L’homme qui se prenait pour Napoléon. Pour une histoire politique de la folieDans cet ouvrage, elle retrace, à partir des archives des asiles, les dires des patients délirants. Des délires historiques, que les patients et les médecins relient à l’histoire et aux soubresauts politiques du XIXe siècle. Un siècle qui débuterait lors de la Révolution française et s’achèverait lors de la Commune.
Dans la quatrième partie de son livre, l’historienne s’interroge sur le "morbus democraticus", la maladie démocratique, émergeant dans les registres lors des épisodes révolutionnaires. D’abord pour noter que ce sont toujours les révolutionnaires qui sont assignés au délire, et jamais les troupes ni le pouvoir politique. Mais aussi pour s’interroger sur le rôle des psychiatres dans la légitimation du pouvoir et le dénigrement dont ils ont fait preuve à l’encontre des Républicains.
C’est ainsi que Laure Murat est amenée à s’intéresser à Théroigne de Méricourt, originaire des Ardennes "dont la vie a été une suite de malheurs" (décès de sa mère lorsqu’elle avait 5 ans, maltraitée par sa marâtre, errante, vachère, demoiselle de compagnie éconduite, courtisane à Paris et victime du "mal vénérien") avant le surgissement de la Révolution. S’appuyant sur la biographie que lui a consacrée Elisabeth Roudinesco en 1989 - Théroigne de Méricourt. Une femme mélancolique sous la Révolution - elle rappelle que le mythe de la "furie révolutionnaire", de la "passionaria féministe assoiffée de sang à la tête d’une armée d’amazones" est bien loin de la réalité de l’investissement de Théroigne de Méricourt dans les journées révolutionnaires.

Pour l’historienne, ce sont surtout les 23 dernières années qui importent ici. Théroigne étant déclarée folle en 1794, à la demande de son frère sûrement pour lui éviter la guillotine, elle va donc d’institutions spécialisées en hôpitaux jusqu’à sa mort en 1817. Pendant ses dix dernières années, elle se trouve à la Salpêtrière et est soignée par le psychiatre Esquirol. En 1820, ce dernier publie le cas "Téroenne, ou Théroigne de Méricour". La première partie de l’observation consiste en une biographie de cette patiente. Mais Esquirol ne s’appuie pas alors sur les entretiens pour rédiger cette biographie. Il recopie quasiment - tout est dans le quasiment – un article de la Biographie moderne (ouvrage dont la deuxième édition a paru en 1816) qui comportait déjà beaucoup d’erreurs. Les nuances entre les deux textes ne sont pas neutres pourtant et elles se passent de commentaires.

Biographie moderne :
"Elle joua un rôle remarquable dans les premières années de la Révolution."
"[Elle] se lia avec divers chefs du parti populaire."
"[Elle] contribua le 5 octobre 1789 à Versailles, à corrompre le régiment des Flandres, en conduisant dans les rangs, d’autres filles dont elle avait la direction…"

Esquirol :
"[Elle] joua un rôle bien déplorable dans les premières années de la Révolution."
"Elle se livra aux divers chefs du parti populaire."
"[Elle] contribua surtout le 5 et 6 octobre 1789, à corrompre le régiment de Flandres, en conduisant dans les rangs, des filles de mauvaise vie."

Une invitation à ne pas dévoyer ni pervertir la parole des patients.
Une invitation à lire le livre de Laure Murat.

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