Le dernier jour d'Yitzhak Rabin, par Amos Gitaï : un sujet et un dispositif

Le réalisateur Amos Gitaï revient, 20 ans après, sur l’assassinat du Premier ministre israélien Yitzhak Rabin le 4 novembre 1995.

Comment documenter un fait politique ? Comment montrer un fait politique qui est en même temps une attaque au corps ? Au corps d’un homme et au corps de la cité en même temps. Comment faire comprendre au spectateur un peu plus que les informations de l’époque ? Comment faire sentir au spectateur un peu différemment de ce qu’il en a déjà senti ?

Autrement dit, Amos Gitaï n’est pas seulement face à un sujet. Si son film n’avait été qu’un sujet, il aurait peut-être opté pour un documentaire ou bien pour une fiction, mais il a fait le choix de mêler des images télévisuelles de l’époque à des scènes tournées par lui, que l’on peine à interpréter comme de la fiction. Le spectateur les perçoit plutôt comme une reconstitution historique. Pourtant, il y a bien aussi de la fiction dans ce film - notamment dans les échanges propres aux milieux religieux et intolérants, mais aussi dans ceux de la commission chargée d’élucider ce qui avait permis cet acte. Non pas que ces échanges soient « faux » mais plutôt que ces scènes permettent de mettre à jour les idées, les connivences et les procédés en jeu.


Amos Gitaï n’a donc pas réduit son approche à son sujet. Et il serait dommage de le faire à sa place. Comme le déplore Gérard Mordillat dans la dernière livraison du Monde diplomatique, « Le ‘sujet’ a pour avantage fondamental de dispenser de mesurer les enjeux narratifs, stylistiques, grammaticaux d’un livre, son invention lexicale, ou l’invention visuelle, sonore, d’un film… ». Or il s’agit bien d’invention dont faire preuve ici le cinéaste franco-israélien en filmant au plus près du corps touché de Rabin, en donnant à entendre la panique juste après les détonations, en faisant parler des témoins, ou en imaginant les réunions des ultra-orthodoxes proches du Likoud lors desquelles ce meurtre est envisagé et planifié comme une solution juste.

Il a donc pris ici au sérieux la proposition de Giorgio Agamben au sujet du dispositif quand celui-ci écrivait : « J'appelle dispositif tout ce qui a, d'une manière ou d'une autre, la capacité de capturer, d'orienter, de déterminer, d'intercepter, de modeler, de contrôler, et d'assurer les gestes, les conduites, les opinions et les discours des êtres vivants » (Qu’est-ce qu’un dispositif ?). Pour ne pas se laisser déposséder par la soudaineté de l’acte, par la sidération suite au meurtre, pour ne pas euphémiser la responsabilité des uns et des autres, il dispose des images d’archives mais crée aussi celles qui manquent pour combler les vides et offrir au spectateur une lecture. La sienne, vivifiante, nous questionne.

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