De la dépression à l'espérance : là où le coeur attend

Une nuit de décembre, Frédéric Boyer ne dort pas. Il sombre. 
"Je me traînais d'une chaise sur une autre en disant c'est fini, mais sans trouver de point final. Je n'attendais plus rien que de mélancoliques affaissements dans des fauteuils ou sur le sol d'une chambre. Mais c'est cela que je veux rappeler pour l'intérêt de ce petit livre : il n'y a qu'une voie pour perdre sa place au monde, c'est d'avoir le sentiment d'être arrivé là d'où littéralement on ne peut plus bouger. D'avoir atteint l'inconfortable situation où même la chute est déjà derrière nous. C'est la certitude d'avoir perdu cette force qui nous pousse, qui requiert, qui suggère, qui invente, et qui nous dit que par un autre que nous elle ne pourrait être exécutée." 

"Le tragique était d'être là, présent sans présence, de devoir poursuivre une existence qui n'envisageait pas de suite. (...) Je ne quittais pas la vie, c'est elle qui m'abandonnait. Sa question ne m'était plus adressée."

Mais il est sorti de la "boîte infernale". L'espérance s'est installée. Le traducteur a donc traduit et retraduit s'accrochant à cette "bouée du travail d'interprétation", prenant conscience que "nous vivons seuls nos souffrances, et pourtant notre devoir est de les traduire aux autres ou d'attendre des autres de les traduire, comme nous avons nous-mêmes à comprendre celles des autres. Et nous confronter au mystère de la possibilité de se traduire soi avec et par les autres."

Pourtant l'espérance questionne, laisse ouverte des questions que l'on croyait réglées. Comme Frédéric Boyer le rappelle à la suite d'Ezéchiel et de Dante : "sans espérance, nous sommes finis." L'enfer se constitue d'un regard qui s'éteint, un regard que chacun savait posé sur lui "jusque dans le malheur".

De cette espérance fragile car elle "n'est portée par rien d'autre que par ce qu'elle entrevoit" il tisse le portrait dans son livre. Sans mièvrerie et comprenant aussi que c'est elle qui l'avait "conduit si près de la mort".

Les textes anciens lui révèlent le lien de l'espérance et de la parole, "parler est le signe du désir qui insiste comme prétention, comme promotion". "Espérer c'est revendiquer l'imperfection de notre propre état" mais il s'agit aussi d'en passer par la dette, "parvenir à effacer cette dette de sang que l'instinct réclame". Il tente ainsi de sortir de cette "vengeance impossible" de cette "triste nuit de décembre".

Son retour à la vie, il le doit notamment à une ouverture car "devant l'espérance, l'homme se rencontre lui-même et face à soi, il découvre cette façon qu'il a de se déborder lui-même et de s'occulter, dans cette indécise liberté à demi-rêvée". Mais "pour accepter d'espérer, je dois reconnaître que l'excès promis vers lequel je tends sera aussi la marque, la cicatrice de la perte que j'ai traversée. (...) Je n'avais pas à vouloir retrouver ce qui n'était plus, c'est-à-dire à rester dans la superstition du chagrin qui n'entend jamais que conjurer la perte imaginaire ou réelle, mais à attendre de jouir de ce que je n'avais jamais eu."

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