Accommoder les bébés ? Ecrire la norme et faire la mode depuis cent ans

1979. Deux autrices entreprennent de décortiquer la littérature à destination des futures mères. Elles lisent et étudient alors les livres, guides, manuels parus depuis une petite centaine d’années en France qui prodiguent conseils, injonctions et interdictions à suivre pendant la grossesse et les premiers mois de vie des enfants. Le double regard de Geneviève Delaisi de Parseval, psychanalyste, et Suzanne Lallemand, ethnologue, dans L’art d’accommoder les bébés, permet un éclairage clinique et des comparaisons avec d’autres sociétés (Afrique subsaharienne, Amérique du Sud, Etats-Unis, Chine…).

Couverture du livre dans
son édition poche, 2014.
Rôle de la mère, place du père, nourrissage, toilette, sommeil, acquisition de la bien mal nommée « propreté », langage utilisé dans les livres et autres rituels du début de vie font l’objet de discours publics construits par des soignants, assénés par toute l’autorité que leur confère leur savoir médical. Pourtant ces discours changent au fil du temps. Loin de le reconnaître, les auteurs de ces manuels font comme s’ils avaient toujours prôné les mêmes conseils alors que quiconque s’est intéressé même de loin ne serait-ce qu’à la position dite idéale pour coucher un bébé sait que le ventre, le côté et le dos ont eu leurs adeptes et leurs contempteurs suivant les époques.

La mère et le père 

Incompétente, naïve et ignorante a priori quant aux affaires de la maternité d’après les auteurs de ces livres, la mère est celle qui doit d’abord prendre soin… de son mari. Ainsi en 1977, on peut encore lire que la femme sur le point de partir accoucher « doit laisser la maison bien en ordre de façon que le mari trouve facilement le matériel courant dont il aura besoin ; de laisser le linge remis en état, repassé et en ordre dans les armoires ; enfin, de remplir le réfrigérateur et les placards de la cuisine pour débarrasser le mari des soucis du ravitaillement ». On imagine en effet aisément une femme enceinte de huit mois et demi déborder d’énergie et faisant tout pour faciliter la vie de son mari, incapable de s’occuper de lui, et encore moins de sa femme.

Au cours du XXe siècle, le père, qui était le grand absent de ces manuels, apparaît mais sous l’angle du grand enfant dont la femme doit s’occuper. Elle doit veiller à son bien-être. Les rares passages valorisant le père sont l’occasion de critiquer la mère comme en 1972 où un auteur écrit : « À force d’idéaliser l’amour maternel, on n’insiste pas suffisamment sur l’amour paternel […] apporté par d’autres mains que celles de la mère, car nous savons que les caresses de l’homme, quoique plus rudes, sont parfois plus gratifiantes, et que les femmes n’ont pas toujours les ongles coupées ras. » Monsieur n’est donc capable que de caresses un peu rudes et madame se permet donc d’être négligée en plein post-partum. Nous voilà bien ! Ici point d’ambivalence de l’un ou de l’autre vis-à-vis de son/ sa conjoint.e ou du bébé mais des rôles bien établis auxquels on ne saurait déroger. 

La mère ne saurait s’appuyer non plus pendant la grossesse et les premiers mois de son enfant sur le savoir de sa propre mère. Dénigrée par les auteurs, la grand-mère maternelle doit être éloignée et ne saurait transmettre les gestes adéquats, son expérience passée, ses observations acquises au fil des décennies. Il serait en effet dommage que le féminin puisse se transmettre dans ce moment crucial, dommage qu’une solidarité intergénérationnelle et féminine puisse se développer, dommage que la filiation et l’arrivée d’une nouvelle génération soit un moment de partage. Non, il faut donc que les hommes - les auteurs de ces manuels en majorité - viennent plaquer leurs savoirs, s’apparentant souvent à des préjugés, ce qui a pour effet l’isolement de la mère et l’éloignement du père des choses de la petite enfance. Évidemment, il semble difficile qu’une femme qui devient mère soit toute ouïe devant les conseils de sa propre mère. Le changement de statut de fille à mère, le bouleversement des générations à l’œuvre vient rebattre les cartes et il y a alors comme une émancipation nécessaire (si celle-ci n’a pas débuté avant) vis-à-vis de la grand-mère. Une envie de faire autrement pour s’installer dans son nouveau rôle. Mais c’est une chose de faire le tri dans les conseils et c’en est une autre de présenter systématiquement les femmes qui ont accouché et élevé des enfants une génération plus tôt comme étant forcément de mauvais conseil. 

Le bébé 

Et le bébé dans tout ça ? Et bien il faut d’abord s’en méfier. Oui, s’en méfier car il demande beaucoup et il s’agit de le dresser au plus tôt afin de le conformer dès son plus jeune âge à obéir. Quiconque lit ces lignes et a essayé d’endormir un tout petit en pleine crise de larmes est pourtant en train de se demander ce que dresser veut dire dans ce moment de désespérance partagé. 

Qu’à cela ne tienne, le tenir à distance, ne pas trop lui signifier qu’un adulte attentif et bienveillant est là pour lui, voilà bien les injonctions formulées. Aussi incongrus ces conseils paraissent-ils en 2024, ils ont bien été écrits quasiment mot pour mot dans les dernières décennies. Ainsi, le Petit guide de la jeune maman, publié en 1951, intime tout simplement « Évitez de le prendre, de l’amuser, de répondre à ses appels, sauf s’ils paraissent provenir d’une souffrance. ». De même, la peur des microbes (on disait moins virus à l’époque) incite les auteurs à des préconisations étranges comme de ne pas trop les embrasser… Lorsque les autrices recensent à la fin des années 1970 les discours en vogue au XXe siècle, elles se désespèrent de voir encore des bébés « dès les premières heures de leur existence, attacher les bras ou ganter les mains pour qu’ils ne sucent pas leurs doigts ou leurs poings, ficelés dans leur "berceau" fixe, avec la sempiternelle pancarte au-dessus de leur tête : "Ne me touchez pas, ne m’embrassez pas" ». Chers parents, gardez vos distances avec votre enfant ou quand la maltraitance des tout-petits passe complètement inaperçue et se fait sous couvert de bonnes pratiques.

La relation doit donc être utilitaire. Il n’y a pas de place dans ces livres pour le plaisir. La mère doit se réfréner dans ses accès de mièvrerie, car c’est bien comme ça que sont considérées les attentions qu’elle pourrait avoir pour son enfant. Ainsi, en 1946, dans le Manuel de puériculture, qui présente dans cet extrait l’enfant de 6 mois : « Vers 6 mois, bébé est éveillé… Il jase et joue avec ses mains, il vous sourit. Vous êtes tentée de le prendre, n’en faites rien car vous deviendriez son esclave… Il est beaucoup mieux étendu dans son lit que mal installé sur votre bras ». Le positionnement quasiment phobique vis-à-vis des bébés des auteurs trouve sa légitimité dans une société où les discours convergent vers ce genre de pratiques. Puisque tout le monde pense pareil, c’est que ça doit être correct. Et la boucle est bouclée. 

De la même manière, qu’est-ce qui justifie d’attendre après la naissance pour nourrir un nouveau-né ? On ne le saura pas à la lecture des manuels mais les prescriptions sont claires du début du XXe siècle et jusqu’aux années 1970. Les auteurs y préconisent une diète absolue pour le nourrisson pendant 24 à 48 heures après la naissance. Certains permettent tout de même l’administration d’un peu d’eau sucrée s’il crie trop. Quand quasiment le seul réflexe acquis à la naissance est la succion, on se demande comment l’idée de priver le nourrisson de lait - à la suite d’une telle épreuve qu’est la naissance - est venue à l’esprit de ces sachants autoproclamés.

L’acquisition de la bien mal nommée « propreté » fait l’objet de prescriptions toutes aussi saugrenues selon les époques. Au fur et à mesure des décennies, les principes se font un peu moins aberrants mais les auteurs sont partis de très loin. Ainsi, au début du XXe siècle, on demandait aux mères de placer leur bébé sur le pot dès l’âge d’un mois. Tous les jours un peu pour l’habituer avant et après la tétée. On peut penser que sur un malentendu ça devait fonctionner parfois… et encore. Mais que de temps et d’énergie perdus pour la mère, et d’incompréhension et d’inconfort pour le nourrisson. Progressivement, l’âge de ces prescriptions a reculé. Ce qui est resté c’est le ton moralisateur employé par les auteurs à l’égard de leurs lectrices. 

Le public visé 

Couverture du livre dans
son édition originale, 1980

Mais qui suivait ces prescriptions ? Qui se montrait observant de telles règles ? Qui lisait ces livres ? À la lecture de L’art d’accomoder les bébés, difficile d’évaluer l’audience de ces ouvrages, si ce n’est que les éditions successives de J’attends un enfant et J’élève un enfant de Laurence Pernoud (et ses co-auteurs qui accèdent à la lumière au fur et à mesure des rééditions) traduisent un engouement bien réel pour le genre parmi les futures mères. De là à suivre les conseils à la lettre il y a un pas qui n’était certainement pas franchi par tout le monde ni sur tous les sujets. Cependant, le ton employé et les présupposés de ces écrits laissent entendre que la bourgeoisie s’adresse à la bourgeoisie. En effet, dès la fin de la Seconde Guerre mondiale on y parle d’une chambre réservée à l’enfant et le bain est préconisé dans une pièce chauffée à 20 degrés. En 1946, ces conditions étaient loin d’être partagées par tous les Français. De plus, suivre des conseils d’inconnus auréolés d’un capital culturel important - les auteurs sont très souvent médecins - pour être la meilleure mère car la mieux informée des nouveautés est un programme qui s’adapte bien à l’habitus bourgeois. Dans les milieux ruraux et ouvriers, les femmes avaient moins le loisir en temps et en argent de lire ces livres. Et le rapport à la norme y était moins pesant. Alors que dans la bourgeoisie urbaine, se conformer au discours majoritaire est non seulement bien vu mais aussi un moyen de perpétuer l’ordre social qui assure à ce groupe une place dominante dans la société. Et la domination est un sujet omniprésent dans le rapport des adultes aux enfants. 

Cette satanée néoténie 

Néoténie, le mot est lâché. Appliqué à l’espèce humaine, il décrit l’immaturité et l’impuissance dans lesquelles se trouve le tout petit à la naissance. La spécificité humaine réside dans le fait que cet état dure longtemps. Indépendance et autonomie s’acquièrent lentement chez les humains puisqu’il ne s’agit pas seulement de savoir marcher, manger et parler. Quiconque a vu un.e adolescent.e chercher un objet dans sa chambre a bien conscience que l’autonomie n’est pas encore pleinement acquise et que les humains ont besoin d’apprendre pendant longtemps : regard vaguement panoramique autour de soi « ben je l’ai pas trouvé ». Fin de la recherche. 

Cet état est plus ou moins bien appréhendé par les adultes, quand il n’est pas quasiment nié. Il peut d’ailleurs aussi susciter des affects très négatifs parce que la néoténie des tout-petits s’exprime le plus souvent avec le seul moyen visible qu’ils ont au début pour qu’on ne les oublie pas : les pleurs. Or, ces pleurs sont difficiles à supporter pour les adultes, pas par manque d’empathie le plus souvent mais parce qu’entendre un enfant pleurer est assez vite insupportable et qu’à cela s’ajoutent de l’incompréhension et de la méconnaissance. Les autrices de L’art d’accommoder les bébés parlent même de positionnement phobique des auteurs des manuels vis-à-vis des enfants tant ils préconisent de mise à distance et de dressage plus que de relation, d’échange et de soin. Prendre la pleine mesure de la dépendance du nourrisson n’est pas chose aisée car cela implique une disponibilité qui met à l’épreuve l’adulte et le couple, et exige un savoir que beaucoup ignorent devoir intégrer. Ces questions se poursuivent tout au long de la vie de l’enfant et placent les parents devant de multiples choix pour évaluer son degré d’im/maturité. Les conflits actuels de psy autour de l’éducation positive/ bienveillante d’un côté et de la question des limites de l’autre en sont une illustration contemporaine. 

Et le plaisir dans tout ça ?

Derrière ces discours normatifs en vogue jusqu’aux années 1970, le plaisir que peuvent avoir les parents à s’occuper de leur enfant, tout comme celui éprouvé par celui-ci dans ses premières années brille par son absence. 

C’est le cas sur la question du nourrissage du tout-petit. Les controverses, conflits, injonctions et préconisations diverses autour de la tétée au sein ou au biberon sont vives. Respect du naturel brandi d’un côté, modernité de l’autre, mère dévouée versus mère froide (rien que ça), mère toute puissante et dévouée pour son enfant versus mère soucieuse de la place du père, quels que soient les arguments utilisés - et le plus souvent de manière peu amène pour les mères - nourrir son enfant revient à lui remplir le tube digestif. Ni plus ni moins. Il n’est pas question de ce qu’il se passe dans ces moments, ni du contact, ni des regards, ni des paroles échangées. L’enfant doit manger, voilà bien l’essentiel. Toutes les deux heures d’ailleurs selon certains qui proposent même un canevas de la journée à suivre scrupuleusement. Que le bébé ressente du plaisir dans ce moment de partage avec l’adulte qui le nourrit, que l’adulte apprécie ce moment avec son enfant ne viendrait pas à l’esprit des auteurs.

La même logique préside à la toilette du bébé. Clinique, chirurgicale, la toilette consiste à extraire des orifices tout ce qui peut l’être. Les gestes doivent être précis et la moindre aspérités traquée. Le plaisir et la détente éprouvés dans le bain par le tout-petit n’y sont donc pas abordés par exemple. 

L’acmé de ces œillères s’observe dans les recommandations quant à la tétine ou au fait de sucer ses doigts. Le réflexe de succion est connu mais il se doit d’être utile donc dévolu à la tétée. Exit le fait qu’il puisse constituer aussi un moyen de se rassurer. Sans parler du plaisir éprouvé par l’enfant de manière autonome et au vu et au su des adultes. Geneviève Delaisi de Parseval et Suzanne Lallemand pointent l’agacement voire la colère des adultes face à ces enfants qui se permettent de s’offrir ces moments de plaisir en toute autonomie et sans rien leur demander. Action d’autant plus insupportable qu’elle les place face à leurs propres difficultés quant à l’oralité qui s’expriment notamment à leur âge avec la bouteille et la cigarette, sans qu’ils fassent pour la plupart consciemment le lien. 

20 ans plus tard : une réédition avec postface 

Couverture du livre lors
de sa réédition, 1999.

Le succès de ce livre qui offre un panorama passionnant sur les soins prescrits aux bébés incite les autrices à accompagner la réédition de 1998 - 20 ans plus tard - d’une postface afin d’évaluer l’évolution des discours. 

Entre temps, Françoise Dolto, pédiatre et psychanalyste française, s’est fait connaître. Ses livres et surtout ses émissions de radio dès 1950 sur la RTF, en 1968-1969 sur Europe 1 et de 1976 à 1978 sur France Inter lui ont assuré une notoriété bien au-delà du milieu médical et psychanalytique. Notoriété décuplée dans les années 1980 via son activité éditoriale qui rencontra un grand succès. Son discours emprunt d’une attention aux besoins de l’enfant et de l’adolescent essaime et vient bouleverser la conception de l’éducation. 

Les autrices en 1998 notent une évolution des discours en 20 ans. Les injonctions y sont moins castratrices et il y a enfin une attention aux états émotionnels des enfants et des mères, ainsi qu’une prise en compte de l’immaturité des enfants qui ne se résout pas par un dressage systématique. L’ambivalence des adultes mais aussi des enfants et des adolescents dans les relations familiales trouve enfin une place dans les livres grâce à l’attention que portait Dolto à l’inconscient. 

Le livre permet de prendre la mesure de l’effet de sa parole. Décriée aujourd’hui par certains, elle fut à son époque l’instigatrice d’un nouveau rapport à l’enfant qui a autorisé son écoute et son observation pour se mettre à sa hauteur. 

Et aujourd’hui, 25 ans après la réédition ?

Ambivalence - Niki de Saint-Phalle en train de viser, 1972, extrait du film Daddy, MAMAC, Nice & « Nissa Bella », Martial Raysse, 1964, MAMAC, Nice.











Force est de constater que l’ambivalence tardivement apparue a aussi vite disparu. Inexistante dans le discours de la psychologie positive ou bienveillante, la mettre en avant est aussitôt vue comme un pessimisme voire une légitimation de la maltraitance dans la mesure où on indique alors que chacun n’est pas toujours mu par les meilleurs sentiments vis-à-vis de son prochain. Insupportable à entendre dans le cadre des relations familiales, tellement la famille est valorisée comme sanctuaire de sécurité face à la violence du monde. Pourtant, la famille ce n’est pas toujours sécurisant. Il suffit d’écouter patients et analysants tous les jours pour le savoir. Pourtant, l’ambivalence est bien présente en nous et elle s’exprime aussi bien en famille qu’à l’école. Je renvoie à ce très bon article pour qui voudrait plonger dans la psyché adolescente en plein déni : Pas de souciOu comment la bienveillance à tout crin adossée aux neurosciences fait taire la complexité du sujet.

La focalisation actuelle sur les situations dramatiques de harcèlement scolaire pose la question du climat scolaire dans les établissements. Mais pourquoi maintenant ? Pourquoi un tel silence lors des décennies précédentes ? On peut se demander si le climat à l’intérieur de la famille n’a pas changé plus vite que celui de l’école, qui a du mal à s’adapter à la société actuelle. Mais il y a peut-être aussi un autre facteur résidant dans la chute continue de la natalité depuis plusieurs décennies. Si cela a pour effet une moindre prise en compte des aspirations de la jeunesse au niveau de la société car leur poids démographique est faible face aux plus âgés (voir Sois jeune et tais-toi de Salomé Saqué), c’est d’abord dans les fratries que le contact avec l’autre se fait. Or les tailles des fratries diminuent mécaniquement puisque le taux de natalité est tombé à 1,8 en 2023. Autrement dit, les relations fraternelles et sororales plus fréquentes et plus variées au XXe siècle au sein des familles avaient pour effet de faire entrer les tout-petits plus précocement dans les relations multiples. Pour le meilleur quand il s’agissait de développer ses compétences sociales, d’apprendre par imitation et bien d’autres choses. Mais peut-être aussi pour le pire car les relations dans les fratries - ou parmi les cousins qui étaient alors nombreux - ne sont pas toujours merveilleuses. Est-ce que les enfants victimes de harcèlement à l’école savaient mieux se défendre en raison d’une acclimatation au groupe très précoce dans leur famille ? Ou bien avaient-ils pour certains intégrés les maltraitances comme étant inéluctables puisqu’elles avaient (déjà eu) lieu dans leur famille ?

Mais revenons pour finir aux livres actuels qui accompagnent les femmes dans leur grossesse. Le ton employé y est moins prescriptif et les femmes ne sont plus considérées d’emblée comme des incapables. Ce qui se lit c’est surtout une prime au discours médical : taille de l’embryon et du fœtus, organes en cours de développement, conséquences physiques sur la mère par exemple. Cependant, les injonctions contradictoires n’ont pas complètement disparu. Ainsi, dans la 12e édition du Livre de bord de la future maman de Marie-Claude Delahaye (éditions Marabout), on peut lire à la 18e semaine de grossesse que les femmes n’étant plus fatiguées à ce moment-là ni sujettes aux nausées, ne craignant plus les fausses couches et n’étant pas encore trop encombrées par leur ventre ont tout loisir pour mener une vie active : déménager, rénover leur appartement ou partir en voyage. Mais patatras quand la 19e semaine de grossesse arrive : « Vous vous essoufflez rapidement. (…) Cette hyperventilation vous rend plus fatigable à l’effort. (…) Pour pallier la tendance à l’essoufflement (…) réduisez au maximum les efforts physiques. » Aïe, les femmes avaient cru pouvoir choisir mais c’est encore raté.

L’omniprésence de ce discours médical est particulièrement prégnant dans ce livre à la 10e semaine de grossesse. L’introduction annonce : « Cette semaine, il va vous arriver quelque chose de merveilleux ! ». Ce merveilleux tient en quelques lignes plus bas : la mère peut commencer à sentir son bébé bouger en elle. Suivent après 8 (oui huit) pages au sujet des maladies génétiques et/ ou héréditaires possibles et la nécessité de faire les analyses pour les détecter. Peut-être moins prescriptifs les guides actuels mais assurément plus anxiogènes.

Le grand invariant dans les guides est l’absence des autres modèles familiaux qu’un papa et une maman (pour reprendre un slogan qui donne toujours des nausées). Peu de mentions d’une possible compagne pour la mère et encore moins des PMA en solo. Faudra-t-il encore 20 ans pour que les auteurs s’adaptent ?


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