C'est quoi ce travail ? Image, musique et travail ouvrier

Une usine d’automobile ultra-mécanisée installée au Nord de Paris. 
Un compositeur, Nicolas Frize, en résidence dans ladite usine. 

La caméra de Luc Joulé et Sébastien Jousse filme au plus près le travail des ouvriers, les écoute parler de leurs gestes. Elle s’intéresse aussi au travail du compositeur entre prises de sons, écriture, expérimentations musicales autour des pièces récupérées et répétitions.
Quelle place la division et la standardisation du travail laisse-t-elle à l’individu ? Comment trouver sa place dans le travail, l’usine et la cité quand les gestes répétitifs priment sur l’élaboration et la création ?

Face au morcellement des tâches, les entretiens permettent aux ouvriers de retrouver une unité, un sens à leur travail. Le quotidien est expliqué des plus petits gestes aux « trucs » pour gagner du temps sur la machine. Ce temps gagné devient alors du temps pour soi.
L’alternance des images du travail industriel et du travail artistique montre l’articulation devenue nécessaire entre ces deux modes de création afin de nourrir l’imaginaire des travailleurs tout en les ancrant dans une réalité qui est porteuse de sens pour eux et pour la société dans laquelle ils s’inscrivent. Les dernières scènes du documentaire tentent de rendre compte du concert final mêlant ouvriers et musiciens. Instants précieux mais par ce choix des réalisateurs, cela ferme en même temps l’interprétation du travail ouvrier. Le travail fini n’est plus l’automobile mais la création artistique. Cette impression est renforcée par les paroles des ouvriers qui expliquent ne pas savoir, à la différence de leur travail dans d'autres usines, combien de voitures ils ont produit ici.
Le documentaire est pourtant une des rares occasions de voir le travail manuel, si souvent occulté au profit des activités plus lisses et propres. Mais, la mise en spectacle de ce travail manuel, par l’esthétique des images et par le dispositif de la résidence artistique pose question. Dans le documentaire Entrée du personnel, les gestes du travail étaient rejoués et mimés par les ouvriers en dehors des usines, avec le risque là aussi de ravaler le travail manuel à une image artistique. Le travail ouvrier est-il devenu montrable uniquement dans sa médiation artistique ? Si tel est le cas, il ne s’agit plus du travail ouvrier qui est montré.

Pour dépasser le spectacle, il faut alors écouter les mots des travailleurs et ainsi se détacher de leur image afin d’essayer de saisir au plus près leur quotidien.

Commentaires

Posts les plus consultés de ce blog

En attendant Bojangles : de l'altérité au ravage

Adel Chibane en thérapie