Carré 35 : deuils impossibles


Eric Caravaca, acteur et réalisateur, est devenu père et a filmé son fils. Il ne sait pas alors que ses parents ont fait comme lui quand sa grande soeur est née.


Les films et les photos de cette Christine ont disparu ensuite. Après la mort de la petite fille à 3 ans - avant la naissance des deux fils - la mère a tout détruit et n'est jamais retournée sur la tombe du cimetière de Casablanca dans le carré 35.

Un jour, alors qu'adulte il accompagne un ami dans un cimetière, il est pris d'une tristesse qu'il ne s'explique pas en passant dans le carré des enfants. Son film est une manière pour lui de faire parler ses parents, son frère et son cousin. Comment faire parler une mère de la mort de sa fille qu'elle a tue car il lui était impossible de l'accepter ? Comment faire tomber un secret de famille une cinquantaine d'années plus tard ? Comment supporter la révélation des deuils impossibles de sa mère ?
Dès le début de ce film court et au montage saisissant, alors que le fils demande pourquoi il n'y a plus de photos de Christine, sa mère clôt la discussion par un "j'ai assez pleuré ma mère" qui vient lui signifier qu'il devra revenir sur le sujet mais par d'autres moyens pour faire exister cette petite fille.

Eric Caravaca fait de son film une recherche personnelle mais il la relie à l'histoire de l'Espagne, de la France, du Maroc et de l'Algérie. Colonisation, indépendance, migrations. Puisqu'il n'y a pas d'images de sa soeur, il ira en chercher d'autres dans les actualités de l'époque. En diffusant les images d'exactions de l'armée française au Maroc accompagnées du son des actualités vantant les mérites de la colonisation, il vient superposer l'histoire officielle et l'histoire officieuse en miroir de son histoire personnelle.

Et il revient sur le sujet de Christine. Son père peine à trouver les mots. Il dit : "Elle avait quatre mois." Son fils le reprend : "Elle avait trois ans. Trois ans quand elle est morte." "Quatre mois... ah... ?" Comment ne pas entendre l'équivoque du "qu'à moi". Il l'a gardé en lui cette petite fille partie trop tôt.

Au-delà de la mise au jour d'un secret de famille et d'une réflexion sur ce que peuvent les images dans l'histoire, il s'agit d'un magnifique portrait de sa mère qui depuis son enfance vit avec le fantôme de sa propre mère. Le décès de sa fille puis de son frère venant réactiver ce premier deuil impossible. C'est encore un plaidoyer pour la différence, puisque Eric Caravaca le découvre alors, Christine n'avait pas seulement un problème cardiaque.



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