Chanson douce, un roman sombre de Leïla Slimani


Une occasion de revenir sur l'envie selon Melanie Klein

Un couple et leurs deux enfants. Ils travaillent tous les deux et n'obtiennent pas de place en crèche. Ils cherchent une nounou. Ils trouvent Louise.

Louise s'installe dans leur quotidien. Elle est présente tous les jours, fait bien plus que s'occuper des enfants. Ils l'emmènent en vacances, et un jour elle tue les enfants et tente de se tuer aussi.

Le roman de Leïla Slimani, prix Goncourt 2016, raconte les quotidiens d'une famille et d'une femme. Car ce ne sont pas les mêmes. Ils vivent presque ensemble et pourtant, leurs vies sont si dissemblables. 

Ces infanticides qui ouvrent le roman s'éclairent au fur et à mesure des pages d'une histoire qui happe les lecteurs. Louise est envieuse de la vie des Massé. D'une envie kleinienne qui tient peu à la douceur. Melanie Klein définit l'envie comme "le sentiment de colère qu'éprouve un individu quand il craint qu'un autre ne possède quelque chose de désirable et en jouisse." Alors "l'impulsion envieuse tend à s'emparer de cet objet et à l'endommager". La psychanalyste va plus loin quand elle travaille la question de l'envie, elle l'associe au fait "d'évider avidement le sein et le corps maternel, détruire les enfants que la mère porte en elle et déposer dans son corps de mauvais excréments ». 
Cette Louise si parfaite, qui laisse une maison impeccable, prépare les repas, est si soucieuse des petits, laisse au dernier jour une maison en désordre. Elle détruit son oeuvre. Il y a donc bien là un rapprochement entre l'envie et le désir de détruire tout ce que possède la mère. Cette mère, Myriam, dont elle est jalouse. Cette mère qui possède le père, Paul. Mais qui n'envisage pas un troisième enfant au grand désespoir de Louise et projette au contraire avec son époux de se séparer de la nounou, devenue encombrante en même temps qu'indispensable. 
Klein l'avait écrit déjà : l'envie constitue avec le sacrifice les deux pôles d'un même phénomène. L'objet aimé et admiré est détruit. Elle avance de concert avec l'emprise. Dans le roman de Leïla Slimani, cette emprise vue de l'extérieur est douce, jusqu'à un certain point. Mais dans la tête de Louise, les affects sont violents et la confusion entre le bon et le mauvais la plonge dans des états dont elle ne sort qu'au prix de défenses maniaques très élaborées. Un jour, ses défenses cèdent.

Commentaires

Posts les plus consultés de ce blog

En attendant Bojangles : de l'altérité au ravage

Adel Chibane en thérapie