La Borde, le corps et l'âme, Oury et Platon, par Emmanuelle Rozier

"Autrement dit, le rapport au corps se présente d'emblée, que l'on soit psychotique ou névrosé, dans une ambivalence : cause de souffrance, source de plaisir, mortel, à maintenir vivant malgré les désagréments qu'il génère. Il est intéressant de noter que ces problématiques, telles qu'elles sont développées par la psychanalyse, recoupent des considérations philosophiques déjà présentes chez Platon :

Socrate (...) Tant que nous aurons notre corps et que notre âme sera embourbée dans cette corruption, jamais nous ne possèderons l'objet de nos désirs, c'est-à-dire la vérité. Car le corps nous oppose mille obstacles par la nécessité où nous sommes de l'entretenir, et avec cela les maladies qui surviennent troublent nos recherches. D'ailleurs, il nous remplit d'amours, de désirs, de craintes, de mille imaginations et de toutes sortes de sottises, de manière qu'il n'y a rien de plus vrai que ce qu'on dit ordinairement : que le corps ne nous mène jamais à la sagesse. Car qui est-ce qui fait naître les guerres, les séditions et les combats ? Ce n'est que le corps avec toutes ses passions. En effet,  toutes les guerres ne viennent que du désir d'amasser des richesses, et nous sommes forcés d'en amasser à cause du corps, pour servir, comme des esclaves, à ses besoins. Voilà pourquoi nous n'avons pas le loisir de penser à la philosophie ; et le plus grand de nos maux encore, c'est que,  lors même qu'il nous laisse quelque loisir et que nous nous mettons à méditer, il intervient tout d'un coup au milieu de nos recherches, nous embarrasse, nous trouble et nous empêche de discerner la vérité. Il est donc démontré que si nous voulons savoir véritablement quelque chose, il faut que nous abandonnions le corps et que l'âme seule examine les objets qu'elle veut connaître. C'est alors seulement que nous jouirons de la sagesse dont nous nous disons amoureux, c'est-à-dire après notre mort, et point du tout pendant cette vie. (Platon, Phédon, 66b-67a, traduction Emile Chambry, 1965)

S'il est bien à noter que la recherche dans ce texte concerne la vérité, le fait que le corps soit vécu dans une telle ambivalence n'a pas échappé au philosophe. Il note ce que nous retrouverons ailleurs : le caractère d'empêchement que peut porter le corps, ses "souillures", ses interférences pour la conduite d'une pensée philosophique exempte des troubles que le corps véhicule. Dans la psychose, parfois, ce sont les pensées qui structurent le vécu du corps d'une manière qui peut surprendre."


Caroline Bernard - Psychologue clinicienne
66 rue des Grands Champs - 75020 Paris
06 80 66 22 55

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